Elladj Baldé trouve ses racines en Guinée, en Afrique occidentale

Par une journée torride de février en Afrique, Elladj Baldé a regardé son grand-père âgé de 99 ans dans les yeux, pour la première fois, et a découvert qui il était vraiment.

Elladj, âgé de 24 ans, n’avait jamais posé les yeux sur son grand-père, Elhadj Mamadou Oury Baldé, qui est un imam à Tombon, un petit village dans les montagnes de Guinée, en Afrique occidentale, un endroit où il n’y a pas d’électricité ou d’eau courante, où les bovins et les chèvres errent partout et où les villageois cultivent leur propre nourriture. Besoin d’un peu d’eau? Prenez un seau, abaissez-le dans un trou profond, faites-le remonter et bonne chance.

Remarquez toutefois qu’il n’y a aucune pollution dans ce village reculé, largement intouché par le développement de la civilisation et de grandes entreprises. C’est la nature à l’état pur. Partout, il y a des bananiers, des manguiers et des orangers. « C’est un des plus beaux endroits que j’ai jamais vus », a déclaré Elladj.

Oui, Elladj a reçu le nom de son grand-père, car après tout, il est le premier fils de son père, Ibrahim, qui était le premier fils d’Elhadj, des éléments cruciaux et très émotionnels de cette culture.

Ceci nous amène au grand-père, à la raison de ce pèlerinage sans précédent qui a été fait malgré les avertissements du gouvernement canadien d’éviter les voyages en Guinée, l’épicentre de la crise de la maladie à virus Ebola, qui s’est déchaînée en 2014. Il y avait aussi des alertes de sécurité, des avertissements de troubles politiques, sociaux et économiques, de la corruption généralisée, des activités de rebelles et des vols à main armée, particulièrement pour les déplacements dans les abords des villes. Pourtant, Elladj et son père devaient y aller.

À titre d’imam, Elhadj était un homme de renom, non seulement à Tombon, mais aussi dans tout le nord-ouest de l’Afrique, comme prêtre de la mosquée, enseignant de jeunes imams et saint homme. Tellement exalté était son statut que la convention dictait une retenue réservée à la sainteté : Elhadj n’étreignait pas les gens comme le font les patineurs artistiques. Il était intouchable.

Son fils aîné, Ibrahim, avait beaucoup à faire pour se montrer à la hauteur et il a réussi. Depuis l’âge de quatre ans, il était toujours en tête de sa classe. Être le meilleur élève signifiait qu’on obtenait un soutien pour passer au niveau suivant. Lorsque Ibrahim a terminé premier de sa classe universitaire en Guinée, il a obtenu une bourse tous frais payés pour Tachkent, en Union soviétique, qui est maintenant la capitale d’un Ouzbékistan indépendant.

Ibrahim avait six mois pour apprendre le russe et il s’est appliqué de la même façon qu’il l’avait toujours fait. Pendant ses études de médecine, il était à nouveau en tête de sa classe. (Elladj se souvient que son père l’incitait à toujours faire des heures et des heures de devoirs et, quand il terminait un chapitre assigné, de lire aussi le prochain. « Il faut toujours être en avance sur les autres », lui disait-il. Elladj affirme qu’il a hérité du dynamisme de son père.)

Ibrahim a rencontré et épousé Marina, qui étudiait la météorologie en Union soviétique, et ils ont eu une fille, Djulde, qui, à l’âge de sept, a été atteinte de leucémie. Elladj est né à Moscou et lorsqu’il était seulement âgé d’un an, la famille s’est installée à Bonn, en Allemagne, afin d’obtenir des soins médicaux pour sa sœur aînée. Elle est décédée un an plus tard. Mais, la jeune famille avait une décision difficile à prendre : comment était-il possible de retourner en Union soviétique qui, dans l’intervalle, s’était désintégrée, peut-être comme la bourse d’études d’Ibrahim? Et, elle ne sentait pas qu’elle pouvait y retourner en toute sécurité.

La famille est donc venue au Canada, s’installant à Montréal, bien loin de la Guinée. Pourtant, le souhait le plus cher d’Elhadj était de voir son petit-fils, Elladj, avant son décès. Toutefois, en décembre, il est tombé dans le coma et on croyait donc qu’il était trop tard.

Miraculeusement, deux semaines plus tard, Elhadj s’est réveillé de son coma. C’est alors qu’Ibrahim a su qu’il devait se rendre en Guinée pour le voir une fois de plus. Il a réservé son vol immédiatement pour partir le 22 février.

Elladj l’a prié d’attendre car, à l’époque, les championnats nationaux devaient prochainement avoir lieu et il espérait concourir aux Championnats des quatre continents et aux Championnats du monde en février et mars. Mais, Ibrahim ne pouvait attendre. « Je ne sais pas combien de temps il a à vivre », a-t-il expliqué.

Aux Championnats canadiens à Kingston, en Ontario, tous les rêves de patinage d’Elladj se sont écroulés. Il a terminé en sixième place et a non seulement raté la chance de participer aux Championnats du monde et aux Championnats des quatre continents, mais il a perdu une place dans l’équipe nationale avec tout son soutien financier.

Cependant, un plus gros problème le tracassait. Le jour de son programme long désastreux, Elladj a réservé son vol pour la Guinée. « Je viens avec toi », a-t-il dit à son père. « Je suis fermement convaincu que rien n’arrive sans raison. »

Beaucoup, y compris des médecins, ont prévenu Elladj de ne pas y aller, à cause du virus Ebola. Elladj a finalement raisonné que s’il mourait de ce virus, c’est qu’il était destiné à en mourir. »

Ce fut un voyage long, épuisant et coûteux. Père et fils ont pris l’avion de Montréal à Paris, puis à destination de la capitale Conakry, de Guinée. Quand ils ont débarqué, 50 personnes de Tombon – tous des membres de la famille (Ibrahim a 29 frères et sœurs qui sont toujours en vie, son père a eu quatre femmes) – pleuraient de joie. De quelque façon, malgré leur éloignement, ils avaient entendu parler de ce patineur artistique portant un nom guinéen. Ils avaient suivi sa carrière. Elladj a également rencontré le ministre des Sports en Guinée.

Leur voyage n’était pas encore terminé. Il a fallu 10 heures de voiture pour se rendre à Tombon. Ils ont gravi des montagnes où aucune route n’existe, uniquement des roches. Pendant deux heures, ils ne pouvaient pas aller plus vite que 5 milles à l’heure.

Enfin, à Tombon, Elladj s’est assis dans la maison de son grand-père et cet homme qui n’étreint jamais personne, a pris le visage d’Elladj dans ses mains, s’exclamant : « Dieu merci. Dieu merci », maintes et maintes fois. « Ce fut l’un des meilleurs moments de ma vie », a soutenu Elladj. « Nous nous sommes étreints pendant très longtemps, peut-être cinq minutes. »

D’autres ont regardé en état de choc l’étreinte de l’imam. « Je peux mourir en paix maintenant », a affirmé Elhadj, fragile de cœur, mais vif d’esprit. « Dieu peut venir me chercher ».

« Il était tellement fier de qui j’étais », a signalé Elladj. « En tant qu’être humain, pas comme athlète. Il était tellement heureux de qui j’étais et du genre de personne que je suis. Je me suis rendu compte de beaucoup de choses. »

L’expérience de 11 jours à Tombon a changé Elladj pour toujours. Ils étaient des gens heureux, bien qu’ils aient peu de choses. « L’expérience m’a profondément changé à l’intérieur », a-t-il dit. « Ça cause quelque chose en vous que vous ne vous attendiez pas. Ce fut la meilleure expérience de ma vie. »

En mai, le grand-père d’Elladj est décédé.

Il sait maintenant ce qui compte vraiment. Sa relation avec sa famille a changé. Il est de retour à la maison à Montréal, habitant maintenant avec ses parents et s’entraînant avec Bruno Marcotte et Manon Perron. Son patinage a changé, parce que maintenant il apprécie les occasions qui s’offrent dans la vie. (Il a un cousin à Conakry qui cherche un emploi depuis six ans). Il patine à présent avec joie.

Elladj affirme que son expérience africaine l’a enraciné dans le sol. Il fait désormais partie du monde, de sa nature. Il a vu les origines du temps, d’où sa lignée provenait et estime que les liens familiaux sont puissants. « En fin de compte, nous ne sommes pas si différents », a‑t‑il déclaré. « Nous cherchons tous à être heureux. Et, c’est ce qui est important. »

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